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France culture: Contre-expertise

par Martin Quenehen

Cliquer ici pour accéder à l'enregistrement

Retranscription : Isabelle AUBERT-BAUDRON

Offensive sécuritaire: Que fait (vraiment) la police?

19.08.2010 - 18:15

La police se voit de plus en plus confier la mission de répondre aux misères diverses et variées des quartiers populaires. Les délinquants et les criminels doivent être appréhendés et châtiés, tout en préservant la paix sociale… Le discours politique est clair. Mais sur le terrain, en particulier celui des "Cités", quelles sont les véritables conditions de travail des BAC, CRS et autres "Brigades spéciales de terrain" ? Contre-expertise passe en revue les moyens humains et financiers et la stratégie des forces de police, et décrypte les enjeux d'une politique (plus ou moins officieuse) du chiffre et de la peur...




Christian Mouhanna, Nicolas Comte et Jean-Jacques Comparot CD©Radio France

Invités :
Jean-Jacques Comparot, secrétaire national du syndicat UNSA Police
Christian Mouhanna
Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat SGP-Unité Police




Documents:

Police : des chiffres et des doutes : regard critique sur les statistiques de la délinquance:

Jean-Hugues Matelly, Christian Mouhanna

Michalon, 2007

Retranscription de l'enregistrement

Grenoble, Perpignan, l'Ile de France, Lyon, hier Toulon ou encore Crécy la Chapelle, le ministre de l'intérieur fait son tour de France, il inaugure tour à tour des commissariats, des groupements d'intervention régionaux et des brigades spéciales de terrain, il promet des arrestations et des expulsions, la paix et la sécurité, il exige un coup de collier. Mais dans le même temps, les fonctionnaires de "la maison Pouleman" comme disait Albert Simonin, ont des bleus à l'âme. Non contents de se faire caillasser, attaquer à coups de marteaux et seringuer à balles réelles, ils n'auraient plus d'essence pour courser les malfrats et n'auraient pas de renfort pour leur faire du saute-dessus. Les syndicats dénoncent un yoyo sécuritaire agité en période de crise. Certaines mauvaises langues parlent de pompiers pyromanes et même d'une stratégie perdant-perdant pour la police et la population. Le ministre leur répond qu'il n'est pas question de mettre sur pied une police d'ambiance dans les cités. Mais plutôt que d'émettre un jugement sur les motivations des politiques confrontés à la dure réalité de l'exercice du pouvoir et du calendrier électoral, Contre-expertise s'intéresse ce soir au quotidien des policiers. Loin de la place Beauveau et du Palais de l'Elysée, il sera donc question des moyens mis en œuvre sur le terrain et de l'expérience vécue de la politique du chiffre, ou plutôt de la performance et de la peur qui planent non seulement sur les quartiers sensibles, mais aussi sous les casques anti-émeute des patrouilles intranquilles.

Nos contre-experts sont ce soir Jean-Jacques Comparot, bonsoir,

- Bonsoir,

- Vous êtes secrétaire national du syndicat UNSA Police, à vos côtés Nicolas Comte, bonsoir,

- Bonsoir,

- Vous êtes secrétaire général du syndicat Unité-SGP- Force Ouvrière, enfin notre troisième contre expert est Christian Mouhanna, bonsoir,

- Bonsoir,

- Vous êtes sociologue et chercheur au CNRS.

Enregistrement:

"Je pense qu'on a été trahis. Depuis 2002 et tout le temps où il a été ministre de l'intérieur, ministre de budget, ministre de l'intérieur, président, on fait croire des choses aux citoyens qui ne sont pas les réalités. On n'a pas de moyens, faut le savoir, et on en a de moins en moins. Les effectifs baissent, c'est pas une invention, la plupart d'entre nous, on demande qu'à faire notre travail, et d'avoir les moyens pour le faire. Ce que j'ai peur, c'est de ne plus pouvoir rendre de service et d'être à la hauteur, faute de moyens. J'ai envie de dire, il faut que les gens prennent conscience de ce qu'on fait, des besoins qu'on a, et je m'adresse surtout aux politiques : il faut arrêter de nous faire baisser les effectifs, de nous déconsidérer, on demande de la reconnaissance et les moyens pour travailler avant tout. La plupart des gens qui sont chez nous, ils sont pas là pour l'argent, ça se saurait, on travaille pas pour le salaire qu'on a, on travaille parce qu'on a ça dans le cœur. On veut servir les gens, on demande d'avoir les moyens pour le faire."

* * *

- France culture: Actuellement la police emploierait les grands moyens. Mais quand un policier comme celui que nous venons d'entendre, qui témoignait en mars dernier après l'assassinat d'un collègue à Dammarie-les-Lys, se dit trahi, et déplore justement une absence de moyens, on peut se demander quels moyens sont donnés à la police.

Nicolas Comte, pouvez-vous nous dire ce qu'il en est des moyens humains de la police, c'est à dire des effectifs réels et de leur évolution quand le ministre de l'intérieur annonce très régulièrement le déploiement de nouveaux groupements, de brigades, et que les syndicats s'alarment des suppressions de poste ?

- Nicolas Comte: Mais bien sûr parce qu'à chaque fois qu'on annonce la création de nouvelles brigades, il faut bien prendre en considération que ça va se faire au détriment de l'existant, et qu'il n'y a pas d'espèce de réserve de policiers qui sont dans un coin à rien faire. La réalité c'est que la police nationale, comme d'autres administrations, est engagée dans la révision générale des politiques publiques, c'est à dire qu'on ne remplace pas un départ sur deux de fonctionnaires partant à la retraite. Résultat des courses on va avoir une diminution des effectifs entre 2008 et 2012, nous on l'avait estimée en 2008 à moins 10 000 postes dans la police nationale.

- France culture: C'est le chiffre qui circule, oui.

- Nicolas Comte: C'est le chiffre qui circule et d'après un article du Monde que j'ai vu, je crois, avant-hier, il est à craindre que ce soit éventuellement supérieur à nos estimations, qui évidemment avaient été décriées par la ministre de l'époque, Madame Alliot-Marie, qui nous avait expliqué qu'évidemment on racontait n'importe quoi. Donc la réalité des choses, c'est qu'en fait on annonce la création de nouvelles choses, de nouvelles structures, mais avec moins d'effectifs, ça voudra dire qu'il y aura un désengagement. D'ailleurs quand le ministre annonce maintenant des nouvelles structures, il les annonce dans des municipalités où il y a des polices municipales.

- France culture: Là on parle d'un transfert des emplois des fonctionnaires vers les collectivités territoriales, mais aussi vers des compagnies de sécurité privée ?

- Nicolas Comte: Bien sur , à partir du moment où l'Etat ne pourra plus assumer la totalité de ses missions en termes de sécurité publique, il sera obligé de trouver des palliatifs pour qu'il y ait un minimum qui puisse continuer à fonctionner, donc c'est le désengagement en direction des polices municipales, voire de la sécurité privée pour certaines missions, et là où ça pose problème, c'est qu'évidemment ça donnera une inégalité des citoyens parce qu'il y a des municipalités qui ont des belles polices municipales, mais ça a un coût pour les habitants, et puis il y a des municipalités, souvent c'est celles où il peut y avoir aussi un peu plus de problèmes qu'ailleurs, qui n'ont pas de police municipale.

- France culture : Christian Mouhanna ?

- Christian Mouhanna: Oui, pour compléter ce que dit Nicolas Comte, on peut raisonner aussi du point de vue qualitatif, il y a non seulement la quantité, mais aussi la qualité : Qu'est-ce qu'on crée, qu'est-ce qu'on supprime ? Et on voit bien qu'en tous cas on écorne tout ce qui est police de service au public, police de sécurité, pour créer quoi ? Des compagnies d'intervention, des compagnies de sécurisation, on nous annonce que les nouvelles brigades qui viennent d'être créées hier, enfin bon, d'après ce qu'on sait.

- France culture :Des brigades spéciales de terrain en remplacement des UT, d'une police de proximité ?

- Christian Mouhanna: Oui, ce serait aussi des brigades d'intervention, enfin on ne sait pas trop encore, mis c'est un peu le schéma, bref, on crée quoi ? On crée des CRS. Il ne s'agit pas de critiquer des CRS, mais on va toujours vers la logique d'une police d'intervention, d'une police de contrôle de la population, mais pas d'une police de service public. Et on le voit aussi au quotidien quand on voit la gestion des effectifs, comment des gens qui s'engagent par exemple dans une nouvelle forme de police de proximité à minima qui seront des UTEQ, des unités territoriales de quartiers, eh ben, on va leur dire un jour on les supprime, un jour on en inaugure, et puis le lendemain on dit "Ca ne sert plus à rien", etc., vraiment je fais un peu écho au témoignage que vous venez de passer, on sent vraiment un mépris des policiers et du même coup des citoyens , et notamment ceux qui vivent dans les quartiers où il y a le plus d'insécurité.

- France culture: Le sentiment de mépris , il est aussi redoublé par un problème de moyens financiers, Jean-Jacques Comparot, un représentant syndical, déclarait en effet à la presse qu'à Grenoble, donc à la Villeneuve, après ce qui s'est passé cet été, on le sait, « On n'a même plus les budgets pour mettre de l'essence dans nos véhicules de service ». Est-ce vrai ?

- Jean-Jacques Comparot: Il est vrai qu'après une baisse d'environ 10 % des budgets dans les directions départementales a vu le jour en 2009, c'est très mal vécu parce qu'effectivement, déjà, comme viennent de dire mes collègues, non seulement on travaille à flux tendus avec un nombre de missions renouvelées ...

- France culture: Alors qu'est-ce que vous appelez "à flux tendus" , justement c'est une expression qui revient dans les communiqués syndicaux ?

- Jean-Jacques Comparot: Alors "flux tendus", effectivement la péréquation est très difficile à résoudre, à partir du moment où on diminue les effectifs de police et effectivement on a eu confirmation que 3500 policiers seraient supprimés d'ici trois ans, uniquement pour la police nationale, donc, et on crée à côté de cela de nouveaux services, brigades anti-hooliganisme, brigades concernant l'aide aux familles, et une multitude d'autres services qui ont été créés,

- France culture: Contre les cambriolages ...

- Jean-Jacques Comparot: Brigades anti-cambriolages, etc., donc effectivement on s'est déjà adaptés, on est à la limite d'adaptabilité au niveau de notre institution, donc maintenant on manque d'effectifs, on manque de moyens financiers, donc effectivement il y a un réel mal-être au niveau de la police nationale, mais également, nous allons certainement en parler ensuite, le fait..., la culture du résultat qui également va rajouter à ce mal-être, parce que le policier souhaite travailler en autonomie, avoir son libre arbitre, et effectivement, on peut penser qu'une bonne police, c'est une police qui saura être répressive, mais également une police qui pourra intervenir et puis éventuellement adapter à la situation donnée et ne pas faire du tout répressif, parce que là on va s'éloigner effectivement de la population et on va rentrer dans des situations conflictuelles avec uniquement des services d'intervention.

- France culture: Alors on va y revenir . Nicolas Comte, si on reste sur les moyens financiers, il y a beaucoup de vos collègues qui se plaignent notamment du dénuement des HP, alors entendons-nous bien, ce sont les hôtels de police, les commissariats, concrètement, qu'est-ce que ça veut dire quand on voit que le ministre a pu par ailleurs cet été inaugurer de nouveaux commissariats flambants neufs. Qu'est-ce que c'est que ce dénuement ?

- Nicolas Comte: Oui, alors les nouveaux commissariats flambants neufs, je crois qu'on n'en verra plus d'inaugurés avant pas mal d'années. Je ne sais pas si j'en verrai d'inaugurés avant ma retraite, et j'ai encore quelques années à ...

- France culture: Vous êtes jeune !

- Nicolas Comte: Merci, j'ai encore quelques années à faire dans la fonction publique.

- France culture: Oui, il y un véritable dénuement. Vous savez qu'il y a une réforme qui verra peut-être le jour, mais j'en suis pas persuadé, une réforme de la justice, réforme notamment de la garde à vue.

- France culture: Ah, ben la garde à vue a été déclarée anticonstitutionnelle.

- Nicolas Comte: Si on veut adapter les locaux de garde à vue dans l'ensemble des servies de police en France pour qu'ils soient aux normes, il y a 82 % des locaux en sécurité publique qui ne sont pas aux normes européennes. Donc ça coûterait à peu près 250 millions d'euros, déjà. Donc vous imaginez, ça illustre un petit peu l'état d'un certain nombre de locaux de police, alors là ce sont les gardes à vues, mais je rappelle que mes collègues, eux, ils travaillent et ils vivent quasiment à H24, en se relayant évidemment, mais dans ces hôtels de police, et ce que vous évoquiez tout à l'heure à Grenoble pour l'essence, on pourrait faire un petit retour en arrière, cet hiver dans cette même ville de Grenoble qui était sous les feux de l'actualité, mes collègues n'avaient pas suffisamment d'argent pour que les véhicules de police soient équipés en pneus neige, or il se trouve qu'à Grenoble, en hiver, il y a souvent de la neige. Donc la réalité d'un budget en baisse, et comme le disait Jean-Jacques Comparot, effectivement, c'est 10 % de moyenne, ce qui veut dire d'ailleurs que pour certains départements, ça peu être plus, mais la réalité, c'est ça, c'est au mois d'août on ne sait pas comment on mettra de l'essence, et en hiver, on ne peut pas acheter de pneus neige.

- France culture: Alors on a l'impression d'un malaise qui est partagé par l'ensemble de la profession et aussi par l'ensemble des syndicats, on sait que le syndicat Alliance qui n'est pas représenté ce soir et qui est réputé plus proche du gouvernement et peut être plus consensuel dans son approche des problèmes de la police, Jean-Jacques Comparot, le syndicat Alliance, il est accusé par certains de ses adversaires sur l'échiquier syndical, d'avoir accepté des suppressions de postes en échange d'augmentations de 100 à 200 euros par mois pour les policiers ?

- Jean-Jacques Comparot: Bon effectivement des réformes ont été présentées, et des syndicats ont jugé que ces réformes avaient certains avantages, et ont mis en avant qu'il fallait prendre l'argent quand on nous le proposait. Donc ça n'a pas été le cas de l'UNSA-Police, qui avait donc dénoncé les méfaits de ces réformes, et d'ailleurs au niveau de la carrière des policiers, parce qu'à l'époque on nous proposait un repyramidage de l'encadrement de la police pour arriver à une pyramide avec un taux d'encadrement de 46 %, ça a laissé à penser aux fonctionnaires de police qu'il y avait des possibilités de promotions ...

- France culture: Vous parlez des postes d'officiers ?

- Jean-Jacques Comparot: Non, pour le corps de CE1, le corps de gardiens de la paix, pour faire simple. Donc on a très vite vu les limites et aujourd'hui non seulement les missions de police sont de plus en plus difficiles par ce qu'on vient d'énoncer, mais également dans le cadre des perspectives de carrières où on arrive aujourd'hui, les fonctionnaires de police voient des situations d'attente très longues pour pouvoir prétendre à des promotions. Alors notre ministère de tutelle essaie un petit peu de pallier à ce problème en proposant des possibilités d'avancement, à condition que les policiers œuvrent justement, ce qu'on appelle nous les SUEP dans les quartiers, dans les zones difficiles, où là, si le policier accepte de faire une carrière plus longue dans ce type de quartier, il aurait des possibilités d'avoir des promotions d'avancement un petit peu plus rapide. Mais pour l'instant ça ne prend pas parce qu'effectivement les conditions sont vraiment difficiles, et ce que l'on porte sur la table n'est absolument pas suffisant.

- France culture: Alors venons à ces types de quartiers, comme vous disiez, Jean-Jacques Comparot, les quartiers qu'on appelle parfois « sensibles », les quartiers populaires, les cités. Christian Mouhanna, parmi les moyens, il y a des moyens que j'appellerais idéologiques, ou stratégiques, qui sont déployés, qui sont en tout cas avancés dans le discours politique, on nous parle de la nécessité d'une police de proximité, et puis on a l'impression qu'a contrario , sur le terrain, il semblerait qu'on ait affaire à une police de plus en plus à distance de la population, à travers les inaugurations d'hélicoptères par exemple à caméra thermique, à travers également la généralisation de la vidéosurveillance, qu'est-ce que vous pouvez dire de cette contradiction entre une police de proximité souhaitée visiblement, et puis d'un autre côté une police à distance ?

- Jean-Jacques Comparot: Ce qui est clair c'est que la police de proximité a été mise en œuvre dans les années 90, mais il faut dire que c'est un problème qui date de bien plus longtemps, puisque le problème grosso modo on peut le dater de 1941, puisque 1941 c'est la nationalisation de la police en France. Avant on avait une majorité de polices municipales, excepté à Paris, à Lyon et dans quelques villes, c'est un mouvement de centralisation et de technocratisation, pour résumer. C'est à dire qu'à cette époque-là, on pense, c'est un régime dictatorial, qu'il faut une police pour contrôler les citoyens, pour contrôler la population. La Libération arrive et on a, je ne veux pas dire que c'est la police de Vichy qui continue, mais c'est quand même cette logique technocratique, c'est à dire qu'il faut pouvoir contrôler depuis Paris, gérer depuis Paris, l'ensemble du territoire français. Et c'est, bon an mal an, ce sur quoi on va vivre jusqu'à une période récente : le tournant, c'est 1977, Alain Peyrefitte, ministre de la justice, fait un rapport avec des experts qui s'appelle , je ne me souviens plus mais comment lutter contre la violence, enfin c'est le thème, et il identifie parmi les problèmes le fait qu'on a une police qui est trop distanciée des citoyens. Donc on voit que c'est un problème qui est déjà ancien, le problème c'est que ça va s'accentuer avec la technologie. Là actuellement on a l'idée que la vidéosurveillance peut se suppléer à la patrouille de rue qui va au contact des habitants, alors qu'on pourrait ...

- France culture: Alors que, Christian Mouhanna, les études semblent montrer que si la vidéosurveillance a une utilité, c'est d'abord pour protéger les biens, et qu'elle protège plutôt mal les personnes.

- Christian Mouhanna: Voilà , on pourra y revenir, mais on a un problème, c'est qu'en France on refuse l'évaluation de la vidéosurveillance. On a une idée qu'il faut de la vidéosurveillance, on voit bien comment les maires sont incités, les préfets sont évalués sur leurs capacités à pousser les maires à s'équiper en vidéosurveillance, on voit dans ce sens-là que le dernières déclarations de Christian Estrosi vont dans le même sens , il faut que les maires s'équipent, aient une politique sécuritaire, sous-entendu, fassent de la vidéosurveillance, et on voit bien derrière qu'il y a des intérêts économiques et financiers avec des entreprises qui gagnent beaucoup d'argent en équipant les villes en vidéosurveillance ...

- France culture: Alors qu'en Angleterre, qui est d'une certaine façon le modèle, où on a beaucoup équipé en vidéosurveillance, il semble qu'on en revienne un peu sous la pression des libéraux démocrates aujourd'hui.

- Christian Mouhanna: Des libéraux démocrates et toutes les études, y compris les études du Home Office, c'est à dire du ministère de l'intérieur britannique et de l'association des chefs de police qui montrent que la vidéosurveillance, tant en termes d'élucidation qu'en termes de protection, a une efficacité quasi nulle. Elle est valable notamment pour surveiller les parkings souterrains, des choses comme ça, mais que pour surveiller un quartier, elle n'est absolument pas pertinente. Vous parliez d'hélicoptères, ce qui est assez intéressant en 2005 j'ai travaillé, suite aux émeutes de 2005, avec des préfets et des responsables de la police, l'un des enseignements tirés était "Regardez, on a trouvé la solution aux émeutes, les hélicoptères ça paralyse les gens qui sont sur les toits." On voit bien comment il y a quand même un déficit de pensée, de réflexion, de stratégie. Et le couronnement de tout ça, c'est 2002-2003, Nicolas Sarkozy qui annonce la fin de la police de proximité. Alors que partout ailleurs en Europe, et même aux Etats-Unis, dans tous les pays développés au moins, voire certains pays du tiers-monde, partout on voit se développer ce que les anglo-saxons appellent le "community policy", qu'on appelle ailleurs police de proximité, cette idée qu'il faut que la police ait de la technologie, certes, s'équipe, mais qu'elle aille au contact des citoyens, qu'on ne peut pas faire la police contre les citoyens, ou en contrôlant les citoyens, qu'on ne peut assurer la sécurité qu'en s'appuyant sur les citoyens. Et c'est ça que la politique de Nicolas Sarkozy a mis a mal très clairement. Il y a le fameux épisode de Toulouse, un peu avant on a une directive ou un décret, enfin un texte de loi interne au ministère de l'intérieur signé Nicolas Sarkozy qui désavoue déjà la police de proximité, ce qui est clair, et encore une fois la police de proximité, elle n'était pas la panacée, mais on allait dans un certain sens, là on voit que l'idée c'est de faire que des compagnies d'intervention, grosso modo que de la police de CRS.

- France culture: Alors, à l'opposée de ce discours offensif , il semblerait qu'en réalité, aussi, on demande à propos des quartiers dits sensibles, aux policiers de ne plus intervenir dans les cités, pour éviter les émeutes, Nicolas Comte ?

- Nicolas Comte: Ca arrive dans certains quartiers parce qu'on sait très bien qu'on ne pourra pas rentrer dans ces quartiers-là sans que ça crée des problèmes, le problème c'est que du coup les problèmes sont visibles, et que quand c'est visible, ça fait désordre. Donc ça peut arriver. Ca peut arriver puisque dans certains quartiers, on sait très bien que maintenant, on ne peut y rentrer qu'en force, donc on va se retrouver confrontés à une situation conflictuelle. Le problème un petit peu dans tout ça, il est , parce que les questions de sécurité sont un enjeu politique très fort, on a eu des grosses différences idéologiques qui se sont affrontées, et que les fonctionnaires de police sur la voie publique, finalement, ils sont victimes de ça, parce que je crois qu'il faut sortir d'une illusion, c'est qu'en matière de police, on n'inventera rien, on n'inventera rien en matière de police. Le travail de la police, c'est avec une autre métier bien célèbre, un des plus vieux métier du monde, le travail de policier, on connaît les ingrédients, il faut une part de proximité, dans le travail de policier, il faut nécessairement une part de proximité.

- France culture: Ne serait-ce que pour recueillir des information, pour rencontrer ses indics.

- Nicolas Comte: Mais bien évidemment, la police de proximité, le problème aujourd'hui quand on dit police de proximité, tout un coup il y a les gros indicateurs ...

- France culture: On croit qu'on parle du match de foot, on croit qu'on va danser la lambada...

- Nicolas Comte: Quand on dit "police de la proximité, " on dit « Hé bien voilà, ça c'est le discours de gauche », alors ne disons pas police de proximité. Il faut assurer la police du quotidien. Il faut bien qu'une fois qu'on est intervenu dans un certain nombre de quartiers, où il faut intervenir, des unités d'intervention, on en a besoin, c'est nécessaire, mais une fois qu'on est intervenu, une fois que dans certains quartiers on a démantelé certains réseaux mafieux de trafic de drogues, qui font régner la terreur sur des quartiers, parce que ça existe, c'est une réalité, il faut aussi que la police puisse s'implanter, ne serait-ce pour pas que ces bandes puissent revenir. D'autre part, il y avait énormément de travail judiciaire, de petit judiciaire ou de gros judiciaire, qui ne se faisaient que par des remontées de renseignements que pouvaient avoir ces policiers du quotidien. A une époque, ça s'était appelé îlotage, îlotage opérationnel dans les années quatre-vingt dix, je crois d'ailleurs que le directeur de la police nationale à l'époque devait être Claude Guéant, l'îlotage opérationnel avait été mis en place, et les policiers qui sont dans un quartier, au fil de leurs rondes, un gardien d'immeuble peut venir les voir, une mère de famille peut venir les voir, enfin bon.

- France culture: Là on a l'impression qu'on ne va pas du tout dans cette direction-là.

- Nicolas Comte: Non, on ne va pas du tout dans cette direction-là, c'est sûr, puisque les unités territoriales de quartiers qui remplissaient en partie cette mission-là, le ministre nous annonce qu'elles vont être "modifiées", donc a priori c'est pas une dissolution, mais elles vont être modifiées, pour créer des brigades spéciales de terrain dont on ne sait pas trop ce qu'elles vont faire qui sera différent de ce qui est fait aujourd'hui par les brigades anti-criminalité et par les compagnies d'intervention.

- France culture: Jean-Jacques Comparot, le problème, un des problèmes clef de cette présence de la police du quotidien comme disait Nicolas Comte, c'est la durée, alors il y a bien évidement la durée des mandats électoraux qui est bien particulière et qui conditionne les politiques, mais il y a aussi la durée du travail policier, comme le dit Nicolas Comte, et on sait que la mise en place de la police de proximité en France dans les années quatre-vingt dix, on ne lui a pas donné beaucoup de temps, alors que par exemple au Canada, on aurait pris dix ans pour installer ça tranquillement, pour essayer de la mettre en place. Qu'est-ce que vous pensez de cette nécessité d'imposer, notamment pour les organisations syndicales, un temps long pour mettre en place cette police du quotidien ?

- Jean-Jacques Comparot: Ben ça serait pour nous l'idéal, j'allais dire, ou quasiment l'idéal parce qu'effectivement, on peut constater que depuis de nombreuses années, depuis quatre-vingt dix, je crois qu'on en est à la cinquième réforme inachevée.

- France culture: Concernant la police de proximité ?

- Jean-Jacques Comparot: Oui, concernant la police de proximité entre autres, donc effectivement chaque ministre tient à mettre son appellation, et effectivement monsieur Chevènement a mis en place la police de proximité, ensuite madame Alliot-Marie, c'était les unités territoriales, les UTEQ, et aujourd'hui monsieur Hortefeux, les brigades spéciales de terrain. Donc effectivement les ministres changent, la police nationale, la police républicaine, reste, mais seulement on demande aux policiers quid au temps de Chevènement de faire beaucoup de prévention, le lendemain de faire de la répression. Or un policier, à partir du moment où il est dans un quartier, je vais prendre l'exemple des centres de loisir et de jeunesse qui avaient été créés à l'époque, la police de proximité, les policiers qui étaient dans les centres de loisir et de jeunesse, et comme le disait justement Nicolas Comte, faisaient remonter l'information aux îlotiers opérationnels, et ensuite ça pouvait déboucher, par les brigades anti-criminalité, à des arrestations de délinquants, aujourd'hui cela n'existe plus, on est dans le tout répressif. Et le tout répressif, c'est qu'effectivement maintenant il y a une coupure entre les personnes dans ces quartiers et la police nationale. Une délinquance qui est quand même de plus en plus dure, dure à l'endroit des policiers, mais surtout au niveau des agressions physiques, comme à l'issue de ces agressions physiques, au niveau du judiciaire, cela ne suit pas toujours par peut-être manque de moyens aussi, là encore ça va augmenter les difficultés rencontrées par les policiers.

Enregistrement :

"Je me rappelle au début quand on travaillait, quand on interpellait quelqu'un, on faisait une bonne affaire, c'était des voleurs de voiture, c'étaient des violences, etc., maintenant on arrive au point où on fait beaucoup de routier, énormément de routier, parce qu'on sait qu'il y a des gardes à vue à faire dans le routier, comme on est obligés de faire des gardes à vues, ben on tape où il y en a, il y a même des services qui s'obligent à interpeller des prostituées pour racolage, vraiment le truc qui ne sert à rien, parce qu'on sait très bien que deux heures après elle est dehors, ça ne sert à rien, mais c'est pour le chiffre. Mais des rappels à l'ordre verbal on en a tout le temps, tout le temps, tout le temps : "Attention, ce coup-ci, le chiffre, c'est pas ça, attention, eux ils ont fait mieux que vous, va falloir se rattraper le mois prochain, attention, il y a les notations, il y a çi, il y a là." C'est une pression constante, constante. Maintenant on sait qu'il y a le chiffre derrière donc on fera moins de fleurs, maintenant zéro tolérance. Pourquoi ? pour pas être embêtés nous. On est en train de s'attirer les foudres de la population, ça c'est sûr, même si on les a déjà, à cause de notre hiérarchie qui nous demande du chiffre. Et quand je dis hiérarchie, c'est politique, évidemment. Mais ça va craquer de plus en plus, j'en suis sûr, ça va craquer de plus en plus."

* * *

- France culture: Nicolas Comte, si l'on préfère parler de performance plutôt que de politique du chiffre, les objectifs chiffrés, "faire des crânes", comme on dit parfois dans la maison policière, les objectifs chiffrés seraient toujours au cœur du travail policier, mais plus par écrit, pouvez-vous nous donner des exemples précis ?

- Nicolas Comte: Le problème c'est effectivement finalement l'utilisation politique qui est faire du chiffre ensuite, parce que "faire du crâne, c'est l'essence du travail de policier donc ça nous pose pas de problème de faire du crâne, ça nous pose pas non plus de problème d'améliorer la qualité du travail de policier. On est un service public, on est fonctionnaires, on est là pour rendre un service public, donc c'est normal d'essayer de s'améliorer. Là où ça pose problème, c'est effectivement cette politique du chiffre, même si officiellement on emploie des termes différents, qui se traduit finalement par quelque chose qui, en bout de chaîne, n'est pas forcément toujours très intelligent comme pression faite sur les fonctionnaires de police, et résultat des courses, on demande de ramener des bâtons et on ne demande pas forcément de ramener du travail de qualité. Deux exemples très simples : vous avez des véhicules qui brûlent dans une rue, vous avez trois véhicules qui vont brûler dans une rue, si on n'interpelle personne, on comptera un délit, il y a un feu initial, les deux autres véhicules auront brûlé par propagation. Un délit. Si on attrape l'auteur, on comptera trois feux de véhicules parce que ça fera trois affaires résolues. En matière de stupéfiants, il vaut mieux interpeller trois personnes avec cinq grammes de résine de cannabis, qu'une personne avec 200 grammes de résine de cannabis, parce que dans un cas, ça fera trois affaires résolues, dans un autre cas, ça n'en fera qu'une.

- France culture: Il paraît justement que le problème de ces statistiques, Nicolas Comte, c'est qu'auparavant, ces arrestations de fumeurs de pétards, c'était quelque chose d'un petit peu ridicule dans la journée d'un policier s'il n'avait que ça comme affaire à son palmarès, et dès lors que ça devient des chiffres dans une statistique, tout d'un coup, ça légitime l'action, ce type d'action.

- Nicolas Comte: Absolument, moi j'ai même connu l'époque où quand on ramenait un fumeur de shit ou un "shiteux" comme on dit, avec une crotte de nez de shit, il était relâché, et l'officier de police judiciaire traitait pas l'affaire il y a dix ou quinze ans. Mais on peut trouver à un moment donné un juste milieu. Le chiffre, c'est utile, mais il ne faut pas qu'on tombe dans la religion du chiffre. Alors j'observe quand même que notamment pas rapport à l'action des organisations syndicales aussi parce qu'on a quand même fortement protesté là contre, notamment fait une journée d'action le 3 décembre dernier qui avait fortement marché, et au début de l'année, le ministre de l'intérieur a annoncé d'une part que les gardes à vues, on se souvient de la récente polémique, ne rentraient plus dans l'indicateur d'activité des services de police, et d'autre part, le chiffre unique est abandonné, et on a des statistiques qui sont présentées de manière différente, donc on espère que ce sera un peu un amortisseur sur la pression qui est mise sur nos collègues.

- France culture: Christian Mouhanna ?

- Christian Mouhanna: Oui, alors juste quelques précisions : la politique du chiffre, le chiffre policier, l'état 4001 comme on l'appelle, existe depuis 1972 en France, donc c'est quelque chose que les technocrates du ministère de l'intérieur ont toujours aimé, ça leur permet d'avoir l'illusion de gérer les quatre cent quatre vingt circonscriptions de police de France en direct en pouvant les comparer les unes aux autres, il faut voir quand même une chose, c'est que Lionel Jospin a en partie perdu l'élection présidentielle sur les chiffres de l'insécurité. A l'époque, certains hauts fonctionnaires de la police avaient proposé place Beauveau à Chevènement de faire ce qui se fait de manière récurrente au sein de la police, c'est à dire d'arranger les chiffres, on peut les arranger, les maquiller, les transformer.

- France culture: Winston Chuchill, qui a eu droit à toute une série d'émissions sur France culture, disait, je crois, qu'il ne croyait que les statistiques qu'il avait personnellement falsifiées.

- Christian Mouhanna: Ben voilà, là c'est la même chose. Dans le cas de la police de proximité, juste Jean-Pierre Chevènement avait refusé de transformer ces chiffres. Mais on voit bien que Nicolas Sarkozy, quand il arrive au ministère de l'intérieur, a parfaitement compris comment on pouvait gagner ou perdre une élection sur les chiffres, et on voit bien comment les policiers, bon gré mal gré, ont été embarqués dans une politique de marketing qui est, on a fait pression sur eux pour leur donner des bons chiffres, pour qu'ils donnent plutôt les bons chiffres.

- France culture: Pour qu'ils continuent à les donner, les chiffres sont toujours un élément important.

- Christian Mouhanna: Et quand ça ne suffit pas, on l'a vu en 2009, où la courbe commence à être mauvaise, en partie aussi à cause de la mauvaise humeur des policiers, les courbes commencent à être mauvaises au début de l'année 2009, et comme par enchantement à l'été 2009, il y a 25 - 26000 faits qui disparaissent dans la nature. Donc on voit bien comment il y a de la manipulation des chiffres à des fins de politique politicienne.

- France culture: Nicolas Comte ?

- Nicolas Comte: Oui, je voudrais ajouter que, quand même, quand Nicolas Sarkozy est devenu ministre de l'intérieur, qui avait mis en place cette politique-là, c'est une politique qui a été mise en place avec des moyens en augmentation constante, c'est à dire qu'on a vu arriver des effectifs de police, qu'il y a eu des recrutements extrêmement importants, il y avait même un plan qui allait jusqu'en 2012, mais il y a longtemps maintenant qu'il a été oublié . La tendance a été inversée avec la mise en place de la révision générale des politiques publiques, mais il a fixé, il fixait des objectifs, il a donné un véritable élan, on a senti un certain volontarisme qui arrivait, c'est vrai qu'il y a eu des modifications qui ont été faites par rapport à la police de proximité, mais la police de proximité, je pense qu'elle était morte avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, pour d'autres raisons, notamment des problèmes de moyens et des problèmes d'effectifs, mais il l'a tuée officiellement , mais aujourd'hui, on a toujours le même discours du ministre de l'intérieur qui demande toujours des résultats, etc., etc., mais avec une politique de moyens qui est totalement inverse. Il y a moins d'effectifs, il y a moins de moyens financiers, mais on veut toujours aller dans le même sens.

- France culture: Jean-Jacques Comparot, ce qui est intéressant au delà d'énoncer ces politiques du chiffre et ses responsables, c'est sa traduction sur le terrain, dans la vie quotidienne et dans le travail quotidien des policiers, il parait que si certains policiers n'atteignent pas les objectifs officieux qui leur sont fixés par leurs chefs, ils sont victimes de sanctions disciplinaires, par exemple, m'a-t-on dit, ceux qui étaient affectés à la voie publique se retrouvent à garder les détenus en garde à vue.

- Jean-Jacques Comparot: Effectivement les policiers vivent un mal-être croissant, et ils demandent qu'on donne un sens à leur métier. Maintenant ...

- France culture: Il n'y a pas de sanction quand on n'atteint pas les objectifs ?

- Jean-Jacques Comparot: Il y a eu des exemples.

- France culture: Il y a des primes aussi.

- Jean-Jacques Comparot: Tout à fait. Notre organisation avait dénoncé, c'était à Dunkerque, des faits, parce que je pense que l'officier concerné avait eu la maladresse de l'écrire.

- France culture: Oui, il y a eu des mutations après, des notes de service.

- Nicolas Comte: Là en l'occurrence, c'était pas des mutations, c'était une note de service qui indiquait que ceux qui n'atteindraient pas ces objectifs en matière de contraventions ne pourraient en aucun cas bénéficier de la prime aux résultats exceptionnelle. On a des dérives comme ça.

- France culture: Jean-Jacques Comparot ?

- Jean-Jacques Comparot: Tout à fait, je confirme, la prime aux résultats, mais également il est à noter qu'à partir de 2012, le changement de notation des fonctionnaires va rentrer en ligne de compte, ce qui existe depuis de très nombreuses années va passer à la trappe, et ce qui est clair, c'est écrit noir sur blanc, c'est que non seulement ils ne pourront pas prétendre à des primes avec ce nouveau système d'évaluation, d'entretiens, les objectifs ne seront pas atteints, donc ils ne pourront pas prétendre à avoir de l'avancement, donc ça va même encore plus loin.

- France culture: Christian Mouhanna ?

- Christian Mouhanna: Ce qu'il faut voir, c'est que dans quoi cette politique pousse les policiers, dans quoi ça les pousse ? On a des tas d'exemples de circonscriptions de polices, des commissariats où le chef de service décide , au début de l'année, telle brigade devra interpeller quinze fumeurs de shit, de cannabis ou autre chose, X prostituées, tant de personnes pour des fautes, enfin, grosso modo on prévoit, et c'est ça qui est assez fondamental, au lieu d'avoir des policiers qui réagissent aux événements, on a des policiers qui doivent chercher ce vers quoi les politiques nationales les incitent, ce qui est quand même assez aberrant! C'est à dire que, en caricaturant, en répondant à l'appel de police secours, ils devraient répondre aux gens "Non, attendez, moi c'est pas les agressions qui m'intéressent, c'est autre chose". On est quand même dans cette logique-là. Et ça mène aussi vers un autre phénomène, pour un gouvernement qui se dit préoccupé par l'insécurité, les bandes et les noyaux durs, etc., c'est quand même, pour faire du chiffre, Nicolas Comte l'a dit, les policiers ont tendance à se focaliser sur les petits, sur ce qui rapporte beaucoup d'interpellations.

- France culture: Et laisser les enquêtes qui demandent un temps long.

- Christian Mouhanna: Voilà, on ne remonte pas de filière, on arrête que des petits; il vaut mieux être un gros délinquant à la hiérarchie N+2 dans un réseau de stupéfiants que d'être celui qui revend, parce que celui qui revend ou celui qui consomme, on peut l'arrêter, voire le mettre en prison, quand il est libéré on le réarrête à nouveau parce qu'il reconsomme, et là on fait du chiffre. On arrive à ces aberrations-là.

Enregistrement:

"- Félix de Broa, 45

- Parlez

- Broa 45 à l'écoute, véhicule 6054, on est effectif 2+1, téléphone n° 3.

- Bien reçu.

Journaliste: Vous avez quoi, là, comme arme ?

- Policier: Arme individuelle de service, Sig-Sauer, on a les flash-balls, ceux qui tirent les balles en caoutchouc, le tonfa, et certains collègues ont les PI, pistolets électriques, je vous le dis maintenant, vous nous laissez figer les situations.

- Journaliste: oui, oui

- C'est à dire figer les situations, vous nous laissez, si on fait un contrôle, si on fait n'importe quoi, vous attendez qu'on ait palpé les gens, qu'on soit sûrs qu'il n'y ait pas d'armes, et après vous pouvez descendre, il n'y a pas de problème.

- Là on y va ?

- Bon on va aller chercher la voiture.

* * *

- France culture: Vous écoutez France culture, ce soir Contre-Expertise partage le quotidien des forces de police, en compagnie de Nicolas Comte, de Jean-Jacques Comparo et de Christian Mouhanna.

Comme en témoignent les policiers de la BAC de Bordeaux qu'on vient d'entendre, qui portent un gilet pare-balles et des armes en tous genres, la violence et la mort sont le lot quotidien des gardiens de la paix. Ainsi à Villiers le Bel, on le sait, 136 policiers ont été blessés, dont quatre-vingt par armes à feu, mais, Jean-Jacques Comparo, le fait nouveau serait, d'après les propos de certains gardiens de la paix, que la peur a changé de camp ?

- Jean-Jacques Comparot: Non, la peur a changé de camp, les policiers sont toujours très motivés, et ça on le constate sur le terrain au quotidien, je dirais, ils sont plutôt mécontents. Mécontents à savoir effectivement les violences à l'endroit de policiers sont de plus en plus conséquentes, on n'hésite pas à tirer à l'arme à feu maintenant sur des fonctionnaires de police, on laisse entendre qu'effectivement que les délinquants qui vont porter atteinte à l'intégrité physique des policiers seront durement condamnés avec des peines plancher, etc..

- France culture: Voire menacés de la déchéance nationale s'ils sont d'origine étrangère,

- Jean-Jacques Comparot: Tout à fait donc les policiers, avec ce discours, ne peuvent effectivement qu'être satisfaits. Je vais prendre l'exemple de Tarteret, hier on frappe un policier à coups de marteaux, résultat, trois mois de prison, sept mois pour le second, avec pas d'interpellation à l'audience, ce qui veut dire qu'ils se présenteront éventuellement si la justice les convoque parce qu'il faut quand même également dire qu'il y a un surpeuplement actuellement, et les peines en dessous de douze mois ne sont pas toujours effectuées. Donc là nous serons vigilants, on pense qu'il y aura des interventions pour que cette prison soit effectuée, mais je voudrais comparer l'affaire d'un supporter de l'Olympique de Marseille, qui après avoir jeté une chaise en plastique sur des forces de sécurité en Espagne a pris deux ans et demi , là, à coups de marteaux sur des policiers, c'est sept mois. Il ne s'agit pas, bien évidemment, de contester les décisions de justice, nous ne pouvons, nous policiers, que prendre acte, mais enfin les faits sont quand même là, et ça, ça gène beaucoup les policiers qui ne comprennent plus.

- France culture: Christian Mouhanna ?

- Christian Mouhanna: Il faut bien sûr déplorer les agressions sur les policiers et sanctionner ceux qui les commettent, ça il n'y a pas de doute là-dessus, la vraie question, me semble-t-il, et c'est là où le gouvernement n'apporte pas de réponse, c'est : comment se fait-il qu'on en arrive là, et comment faire de la prévention pour éviter qu'on en arrive à ces situations-là ?

- France culture: Oui, parce qu'à propos des Tarterets dont parlait Jean-Jacques Comparot, c'est quand même le policier qui a été agressé à coups de marteaux et à coups de poing, il avait un casque, il aurait fait tomber son casque, mais comment on en arrive là, de faire des patrouilles au quotidien, que ce soit la nuit mais aussi le jour, avec un casque ?

- Nicolas Comte: Oui , c'est ça le problème, c'est qu'on est obligé maintenant dans beaucoup de quartiers, de pénétrer, je crois que la police va partout, mais elle ne va pas partout n'importe comment, ou elle ne va pas partout de la même manière.

- France culture: Il y a dix ans, c'était pas ça ?

- Nicolas Comte: Il y a dix ans, c'était pas ça. On n'était pas obligés de rentrer casqués dans un certain nombre de quartiers où aujourd'hui on est obligés de rentrer casqués, où on est obligés rentrer de manière très armée, c'est à dire qu'il y a eu depuis dix ans le développement des flashballs, le développement des tazers, le développement des tonfas, l'équipement d'un policier, il y a dix ou quinze ans, il était très loin de ce qu'il est aujourd'hui.

- France culture: Paradoxalement il y a aussi une militarisation de la police qui peut difficilement se faire passer pour une police du quotidien.

- Nicolas Comte: Non mais absolument, on ne peut pas faire de la police du quotidien quand on est obligés d'être casqués, d'avoir ce type d'équipement, donc aujourd'hui il faut se poser aussi la question de savoir, alors bien sur il faut punir extrêmement sévèrement les gens qui sont auteurs d'agressions contre les policiers, mais il faut aussi se poser la question de savoir comment on fait redescendre la tension, parce que c'est comme ça qu'on arrivera à faire en sorte qu'on aura moins de policiers blessés.

- France culture: Christian Mouhanna :

- Christian Mouhanna: Ce qui est intéressant, c'est qu'on peut aussi agir dans l'autre sens, c'est qu'on voit que dans certains endroits où on avait mis en place des îlotiers dans les années quatre-vingt dix, de la police de proximité pas toujours partout, mais les policiers arrivaient armés, équipés, etc., mais au bout d'un moment ils enlèvent leur équipement, parce qu'ils se sentent plus en sécurité, parce qu'ils ont le lien avec la population. J'en veux pour preuve certaines des UTEQ en Seine Saint Denis, ont commencées casquées, armées comme des CRS, pour résumer, et qu'au bout de quelques mois ils ont commencé par enlever , par ne plus avoir le tonfa, par peut-être enlever le casque, etc., et ils arrivaient à être habillés normalement comme dans les rues du centre de Paris. Donc on voit bien comment, contrairement à ce qu'on peut dire, il n'y a pas ..., soit on choisit la courses aux armements, et je ne dis pas que les policiers sont responsables, ils sont plutôt victimes de ça, on est d'accord, de cette course aux armements qui fait que du côté des jeunes, quand on voit des policiers qui ont des tazers et qu'on a peur d'être touché par le tazer, on va s'équiper aussi d'armes de jet, de boules de pétanque ou d'autres moyens qu'on peut avoir.

- Nicolas Comte: Oui, on se fait rarement attaquer par un policier à coup de tazer, quand même (rire)

- Christian Mouhanna: Oui, mais je veux dire, les gens qui ont peur, je ne dis pas qu'ils le font, il suffit d'avoir peur d'eux.

- Nicolas Comte: Ceux qui s'équipent de boules de pétanque, quand même, c'est pas une peur des policiers.

- Christian Mouhanna: Mais il y a beaucoup de gens qui sont équipés parce qu'ils ont peur de se faire agresser par d'autres gens, et il y a des gens qui se baladent avec des couteaux parce qu'ils ont peur de se faire agresser par d'autres, donc ils estiment qu'ils ne sont pas protégés, peut être à tort, et puis il y a aussi des gens qui ont peur de la police. Ce qui est assez intéressant, c'est de voir dans certains quartiers comment la peur de la police, quand vous faites des enquêtes croisées entre température au sein des services de police et température au sein de la population, on voit bien comment les tensions et les peurs, elles augmentent de la même façon, selon des courbes complètement parallèles, entre policiers et population, et qu'à certains endroits on avait pu le faire quand il y a eu des expériences de police de proximité, on peut le voir dans d'autres pays, à Montréal ou à Chicago, etc., on peut voir qu'on peut faire abaisser les tensions à certaines conditions, qui sont des conditions politiques et techniques. C'est pas un fantasme, c'est une réalité observée.

- France culture: Jean-Jacques Comparot, il y a des ressorts de cette peur, de la population mais aussi de certains policiers, c'est d'ailleurs Christian Mouhanna qui l'écrit dans un article, c'est la méconnaissance de la population de la part de la police, et pour vous qui êtes intéressé aux questions de carrière de vos collègues, il semble que ce soit aussi la loi de l'affectation, et notamment de l'affectation en région parisienne dans ces quartiers qui n'ont pas bonne presse, et qui proposent des conditions de travail très difficiles, cette affectation, on place dans ces quartiers des policiers qui ont peu d'attaches de fait dans le quartier.

- Jean-Jacques Comparot: C'est très simple, en moyenne entre vingt et vingt-cinq ans, ces jeunes passent le concours de gardien de la paix, bien souvent sont affectés en premier poste Paris, Ile de France, et de surcroît bien souvent, dans des quartiers difficiles. Alors quand on n'a pas d'expérience, quand on est jeune, je rappelle quand même, il faut le dire, qu'un jeune policier, en sortie d'école, c'est 1300 euros, pour se loger sur Paris ou la région parisienne, avec des frais très importants au niveau du logement, ils se retrouvent dans une situation très difficile, où maintenant on le voit de plus en plus souvent, ils font de la colocation entre fonctionnaires de police pour pouvoir vivre correctement, décemment, et son quotidien, c'est de trouver des gens armés,

- France culture: Pas que des gens armés, tout le monde n'est pas armé dans ces quartiers, Dieu merci.

- Jean-Jacques Comparot: Oui mais enfin ceux à qui ils ont affaire en général, parce que ceux qui ne sont pas armés, en général, ça se passe très bien. Mais ceux à qui ils ont affaire effectivement, ce sont des gens qui les attendent, ils veulent défendre leur business, et partant de là, il ne faut pas que la police rentre. Effectivement, chez ces jeunes, il y a un mal-être grandissant, c'est très difficile, peut-être qu'au niveau de l'encadrement là aussi il faudrait revoir cela et puis faire au niveau des affectations des choix différents, mais le nerf de la guerre, ce sera l'argent. On ne va pas dire à un fonctionnaire de police d'aller dans les quartiers difficiles où il devra, au quotidien, rencontrer des problèmes quasiment insolubles, et puis au niveau financier, on n'a absolument rien à lui proposer.

- France culture: Alors Nicolas Comte, pour le mot de la fin, il est question aussi non pas de peur mais de méfiance de certains policiers vis à vis de leur hiérarchie devant les difficultés et les manques de moyens qu'on a évoqués ce soir, mais aussi d'une méfiance, dit-on, à l'égard des syndicats qui seraient contournés, parce qu'on accuserait les syndicats d'être trop consensuels avec le gouvernement, avec la hiérarchie, et de plus en plus de policiers ont recours à des blogs. Qu'est-ce que vous pensez de cela, vous qui êtes syndicaliste?

- Nicolas Comte: Alors d'une part consensuels avec notre hiérarchie ou le pouvoir politique, je crois qu'il faut aller lire un petit peu ce qui est dit par les différentes organisations.

- France culture: Pas au micro de France culture, ce soir, en tout cas.

- Nicolas Comte: Non mais il faut aller voir, ensuite il y a eu 83 % de participation de tous les gardiens de la paix aux dernières élections professionnelles au début de l'année, donc je pense que si les collègues ne se reconnaissaient pas dans leurs syndicats, ils ne voteraient pas aussi massivement.

Musique: « Pas de ci » Fabulous Trobador.

France culture: Alors que les Fabulous Trobadors nous vantent les mérites du dialogue entre la population et la police, c'est entendu, je vous remercie, Jean-Jacques Comparot, Nicolas Comte et Christian Mouhanna, chers auditeurs vous pouvez retrouver sur le site de France culture à la page Contre-expertise les références des ouvrages, notamment de Christian Mouhanna qui a co-écrit avec Jean-Hugues Matelly "Police, des chiffres et des doutes" chez Michalon, et vous pouvez aussi retrouver des liens vers les sites internet des organisations syndicales de nos invités de ce soir, à savoir Unité SGP Force Ouvrière, le site c'est www.sgp-fo.com , et l'UNSA Police, son site c'est police.unsa.org.

C'était Contre-expertise, une émission produite par Martin Quenehen, réalisée par Julie Beressi. Attaché d'émission: Irina Lammler. Collaborateur: Colin Drouilleau.

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